Juste pas
La nuit s'accroche
encore à la journée … à moins que ce ne soit le jour qui peine à quitter sa
couette sombre … comme je le comprends. Ce matin encore, il m'y fallu 20
minutes avant d'avoir le courage de sortir du lit … avant d'accepter l'idée
qu'on puisse se lever sans avoir de raison de le faire si ce n'est remplir un
vide par un autre. Ca m'arrive de plus en plus souvent ces derniers jours. Je
reste longuement dans mon lit, le regard perdu dans d'insaisissables pensées,
le corps inerte et le cœur silencieux. J'ai parfois l'impression qu'il me
manque quelque chose à réfléchir. Il n'y a plus, comme avant, mille choses qui
occupent mon esprit mais juste une ou deux … et j'y ai déjà tant réfléchi qu'il
ne me reste plus guère qu'à y songer. Il me semble même que ce sont surtout ces
choses qui pensent à moi et pas le contraire. Je pense donc je suis … je suis
pensé donc je ne suis plus.
Il n'y a
pas le moindre bruit dans le bureau. J'y suis seul. Pas la moindre
musique alors que, pourtant, je la mets chaque matin depuis des mois. Pas d'eau
qui chauffe … ça va faire 2 heures que je suis là et je n'ai pas encore trouvé
l'envie de me faire un thé. Je repousse même ces petites choses insignifiantes,
comme si je cherchais à tout prix à me construire un avenir, quitte à ce que ce
soit avec des choses aussi infimes que ça … quitte à ce que mon avenir ne porte
pas plus loin que dans 5 minutes … dans une heure tout au plus. Et après ? Que
se passera-t-il une fois cette heure passée ? Je n'en sais rien. Bien sûr, il y
a des choses qui sont prévues … mais elles ne l'ont pas été par moi. J'ai cessé
d'avoir un avenir pour ne plus avoir qu'un destin. Je suis le passager de ma
vie, la feuille morte qui s'éloigne de l'arbre et que le vent emporte. Bien sûr,
ce qu'on a prévu pour moi me convient. Ma journée de demain, par exemple, est
vraiment très chère à mon cœur. Mais je n'arrive plus à ressentir les choses
avec la même force, la même folie … Sans doute parce que, justement, ma vue ne
me permet plus de voir au-delà d'une heure. Il m'est donc impossible de déjà
venir sentir les parfums de ce qui m'attend pour donner de l'appétit à mon cœur.
Non seulement j'ai perdu la vue, mais j'ai aussi perdu l'odorat. Est-ce que les
autres sens fonctionnent encore ? Le toucher m'inquiète tant le froid ne quitte
plus mes mains. L'ouïe se fane sans doute de vivre ainsi toujours dans le
silence. Le goût … non, le goût n'est plus … je ne mange plus rien avec
plaisir; hier encore, j'ai mangé un bonbon à la menthe juste avant de picorer
une choucroute. Le choc gustatif qui aurait dû s'en suivre n'a pas eu lieu.
J'en suis là … je teste mes sens … j'expérimente mes émotions … et je me rends
compte qu'il ne reste presque plus rien.
Aujourd'hui,
la question la plus difficile qu'on puisse me poser est : "comment vas-tu
?". Non pas que la question me dérange, bien au contraire, je sais qu'elle
témoigne d'un réel intérêt, c'est juste que je n'en aie pas la réponse. Je ne
vais ni mal, ni bien … je ne vais juste pas.
L'Oursin
Vert